OUD
Face à l’Ecole des Beaux-Arts, dans un immeuble historique au portail monumental, rendez-vous avec Marie-Sarah Burckel et Josselin Berteloot, le duo de OUD Architecture. Un lieu de création qu’ils ont choisi pour sa vue sur la Coupole de l’Institut de France, évocation du Grand Prix d’ Architecture de l’ Académie des Beaux-Arts qui leur y a été remis en 2016. Chez eux comme dans leur agence, des meubles et des objets pour la plupart chinés ou rapportés de voyage, des livres de grands maîtres comme Gabriella Crespi, Carlo Scarpa, Adolf Loos … qui les inspirent au quotidien dans leur travail et les protègent en quelque sorte des « tendances ». Mais c’est pour découvrir An Altenative History, leur première collection de mobilier que nous les rencontrons aujourd’hui. Quatre pièces qui présentent une vision singulière du contemporain puisqu’elles sont inspirées du mobilier liturgique des églises vénitiennes et que pour leur réalisation, Marie-Sarah Burckel et Josselin Berteloot ont fait appel à des savoir-faire séculaires comme le bois sculpté, la laque ou le marbre peint. Des techniques qu’ils utilisent aussi lorsqu’ils créent des lieux de vie pour leurs clients, puisqu’ils aiment envisager leurs projets « du gratte-ciel à la petite cuillère » selon la formule de l’architecte Ernesto Nathan Rogers, en imaginant des univers mêlant modernité et références historiques.
Votre duo a un univers et une démarche très personnels dans le monde actuel de l’architecture et du design. Sans vous éloigner volontairement du contemporain, vos références sont très ancrées dans le passé : votre collection de mobilier, An Alternative History, trouve ainsi sa source dans les églises vénitiennes ?
Josselin Berteloot : Cette collection illustre bien notre approche de l’architecture ou de l’architecture intérieure avec ce besoin de fuir l’uniformité. Chaque pièce est très différente des autres même si elles sont toutes, en effet, inspirées par les églises vénitiennes. Leur point commun est une inspiration architecturale et l’utilisation de savoir-faire très anciens : le bois massif sculpté, le marbre peint et la laque.
Marie-Sarah Burckel : C’est justement le dialogue que ces pièces de mobilier ont entre elles qui nous intéresse. La console Ai Frari ou la table San Nicolo da Tolentino sont des réinterprétations, totalement désacralisées, de l’autel. La console murale Santa Maria dei Miracoli fait, elle, référence aux socles statuaires que l’on trouve dans les églises. Elle est en marbre peint, un travail que l’on peut voir dans nombre de palais vénitiens ou même à Versailles.
Josselin Berteloot : A la Renaissance, sur les façades vénitiennes, le savoir-faire de l’artiste avait une vraie valeur, ce travail montrait aussi la réussite du propriétaire. Encore aujourd’hui ce n’est pas pour nous un marbre sans valeur car il porte la main de l’artiste et permet d’ailleurs une certaine liberté graphique.
Marie-Sarah Burckel : C’est une technique qui s’inscrit vraiment dans une démarche de développement durable en limitant l’extraction de pierre dans les carrières et tout ce que cela engendre. C’est une raison de plus pour mettre en avant ce patrimoine culturel.
Pourquoi Venise est-elle pour vous une telle source d’inspiration ?
Josselin Berteloot : Sans doute parce que pendant très longtemps elle fut un point de convergence unique entre une infinité de cultures. Dès le Xème siècle la ville avait obtenu de Byzance des privilèges commerciaux et jusqu’au XVIIIème siècle la République de Venise était le point de départ et d’arrivée de la route de la Soie.
Marie-Sarah Burckel : C’était, avec Byzance, la porte de l’Orient sur l’Europe. On l’appelle la Route de la Soie parce que c’était l’un des matériaux les plus recherchés, mais tant de choses nous sont parvenues ainsi, en plus des étoffes, des épices et des objets précieux. Les techniques notamment, comme la laque ou le block-print sont d’abord arrivées à Venise, qui se les est appropriées avant de les partager avec le reste de l’Europe. C’est lisible sur nombre d’édifices emblématiques de la ville.
Josselin Berteloot : Pour nous Venise est un livre ouvert, grâce auquel nous partons à la rencontre de nombreux artisans dans le monde.
Marie-Sarah Burckel : Nous sommes tous les deux très imprégnés des lieux incroyables qu’offre cette ville. Elle est également très active culturellement, à l’avant-garde de l’art contemporain et c’est cet esprit que l’on tend à insuffler aujourd’hui dans nos projets : faire côtoyer l’histoire du lieu avec un univers contemporain empreint de voyages.
Mais vous vous inspirez également du travail d’architectes contemporains à Venise, comme celui de Carlo Scarpa au Couvent dei Tolentini ?
Marie-Sarah Burckel : En effet, Carlo Scarpa incarne pour nous le dialogue vénitien entre ancien et contemporain. Son intervention sur le porche du Couvent dei Tolentini en est représentative. Faussement minimal, il utilise des géométries très simples en s’autorisant à travailler l’ornementation. Il en ressort un jeu d’ombres et de lumières particulièrement graphique, qui change en fonction de la position du soleil. Nous avons travaillé avec ces principes pour les pieds de la table San Nicolo da Tolentino.
De nouvelles pièces viendront-elles compléter cette collection ?
Marie-Sarah Burckel : Une série de chaises est en cours. Mais en ce moment nous travaillons aussi, en collaboration avec l’artiste Bertrand Fompeyrine, sur une collection autour du monde animal. C’est un projet qui nous demande de faire appel à un répertoire de formes et de symboles très différent de nos références habituelles, même si nous aimons beaucoup mettre des touches zoomorphiques dans nos décors. Cela créé un trait d’union avec un monde chimérique.
Dans vos projets architecturaux, vous aimez surtout créer des lieux de vie. Ce type de projet est aussi une manière de créer des ponts entre les univers et les cultures ?
Josselin Berteloot : C’est toujours une aventure qui nous demande d’être très à l’écoute de nos clients. Ce qui nous intéresse c’est de bien connaitre leur mode de vie, leurs goûts, leur univers. Nous avons le nôtre, comme nous avons nos références esthétiques, mais il n’est pas question de les projeter, c’est plutôt notre imaginaire que nous utilisons pour mettre en forme un dialogue commun avec celui du commanditaire.
Marie-Sarah Burckel : Dans ces projets nous ne cherchons pas à exprimer notre propre style, à poser une signature, mais plutôt à dresser une sorte de portrait de nos clients. C’est d’ailleurs plus intéressant que d’avoir une carte blanche, on crée des points de rencontre. Si les gens viennent vers nous c’est aussi parce que certains de nos projets leur ont plu. Mais nous aimons, c’est vrai, comme les architectes du milieu du siècle dernier, créer un projet dans sa globalité, cela permet qu’il n’y ait pas de dissonances et c’est souvent là que les clients sont les plus contents.
Votre tout dernier projet illustre bien cette manière d’envisager les choses ?
Marie-Sarah Burckel : Il s’agit d’un appartement parisien construit dans un immeuble très représentatif du style Art déco, mais affichant un intérieur haussmannien. Les nouveaux propriétaires, passionnés par les années 1920, souhaitaient ramener l’appartement à l’esthétique d’origine de l’immeuble. Nous avons choisi de réinterpréter les codes de l’Art déco en nous inspirant du décor des paquebots transatlantiques et du Palais de la Porte Dorée, de l’époque où cette esthétique était à son apogée. Les fresques de Pierre Henri Ducos et ses couleurs contrastées et chatoyantes qui illustrent la fascination pour la période coloniale, nous ont inspiré une palette contrastée teintée d’exotisme.
Josselin Berteloot : Les architectes de l’entre-deux guerres, Mallet-Stevens, Gio Ponti, dessinaient aussi leur mobilier, jusqu’à la vaisselle. Au-delà de l’architecture intérieure, c’est un art de vivre qu’ils défendaient et c’est ce que nous recherchons nous aussi.
Vous avez tous les deux auparavant travaillé pour des architectes aux univers très forts, quel héritage en avez-vous gardé ?
Josselin Berteloot : Nous avons tous les deux eu la chance, c’est vrai, avant d’être indépendants, de travailler dans de grandes agences d’architecture. Christian de Portzamparc avait une approche assez plastique des choses, qui se détachait du fonctionnalisme en créant des architectures plus sculpturales. J’en ai tiré parti en dessinant toujours avec l’envie d’explorer, comme c’est le cas aujourd’hui avec cette collection de mobilier. Je pense qu’en tant qu’architecte on se doit de déjouer le rationalisme dans lequel on nous a fait grandir et s’en écarter.
Marie-Sarah Burckel : Jean-Michel Wilmotte, lui, travaillait beaucoup pour le patrimoine, la réhabilitation de lieux existants, souvent prestigieux. Je pense que j’en ai gardé le souci d’ insuffler du contemporain aux lieux en gardant toujours en tête leur histoire, sans avoir peur de jouer avec les époques mais en tenant toujours compte des matériaux, des volumes ou de la mise en œuvre d’origine.
Vos parcours sont en quelque sorte complémentaires ?
Josselin Berteloot : Chacun a des approches dominantes différentes, mais qui se complètent, c’est vrai. Ma démarche est plus pragmatique, je cherche toujours une raison et une justification aux choses, et c’est bien souvent Marie-Sarah qui apporte une dimension onirique à nos projets.
Marie-Sarah Burckel : Nous aimons travailler ensemble sur l’existant et nous avons aussi en commun d’être tous les deux diplômés de l’Ecole d’Architecture de Venise (IUAV), même si ce n’était pas au même moment. D’y avoir étudié et vécu nous a aussi réunis.
Crédits photos : BCDF Studio (mobilier et décors) et Noel Manalili (portrait)