Le beau est l’utile
La fonction comme moteur dans la création
Design et grès français 1950/1970
De tout temps l’homme a créé des objets utilitaires avec économie et efficacité. Au cours des siècles le décor s’est ajouté jusqu’à parfois faire disparaître la fonction, Mais au début du vingtième siècle une pensée du beau dans l’utile et du refus du décor émerge et donne lieu à la révolution du design dans les années 1950. Une jeune génération éprise d’idéal entreprend de concevoir tant sur le plan esthétique que fonctionnel le monde des trente glorieuses qui, sur de nombreux points, est encore le nôtre aujourd’hui.
En France, dès 1929, le mouvement moderne se mobilise autour de l’UAM pour créer des meubles et des objets modernes, simples, fonctionnels et reproductibles en série donc pour le plus grand nombre. L’immédiat après-guerre débouche sur une demande importante en matière d’aménagement intérieur, ces créateurs-là s’en emparent et la jeune génération prend la suite de l’UAM qui se transforme en « Formes utiles ». Ces jeunes gens qui sortent des grandes écoles comme l’ENSAD souhaitent apporter le meilleur au plus grand nombre et ils inventent un nouveau métier pour cela, celui de concepteur de modèle pour la série que nous appelons aujourd’hui designer, ils s’appellent Pierre Guariche, Joseph-André Motte, Michel Mortier, Antoine Philippon et Jacqueline Lecoq, Janine Abraham et Dirk Jan Rol, André Monpoix, Alain Richard, René-Jean Caillette, ou Pierre Paulin …
Ils se revendiquent comme fonctionnalistes car pour eux rien n’est gratuit et chaque objet, chaque partie de l’objet, sa forme, son matériau, sa dimension, sa finition, découlent de ce à quoi il sert. Bien sûr ils ont assimilé les codes esthétiques des siècles précédents, mais aussi ceux de la modernité et ils savent dessiner à la perfection. Ils vont concevoir les meubles, les luminaires les plus ingénieux et les sièges les plus confortables de leur époque durant toutes les trente glorieuses. Car l’appartement se transforme après-guerre, une pièce à vivre multifonction apparaît avec les meubles qui vont avec : la table à allonges, le lit transformable, l’applique à bras, le meuble à musique … Mais c’est aussi à ces créateurs que l’on demandera de prendre en charge les projets les plus prestigieux de ces décennies mythiques.
Parallèlement, un autre groupe de jeunes gens, Elisabeth Joulia, Yves Mohy, Robert Deblander, Pierre Mestre,
Gustave Tiffoche, Jean Linard, Charles Gaudry … suit un parcours assez similaire dans les écoles des Beaux-Arts ou des arts décoratifs pour se prendre ensuite de passion pour la céramique en général et pour le grès plus spécifiquement. Ils découvrent le village de La Borne dans les années 1950-60 et, initiés par Jean et Jacqueline Lerat, se forment aux techniques séculaires, aux engobes, au tournage, au montage du volume, mais aussi au four et au feu et à leurs multiples subtilités. Bien sûr ils ont commencé par la tradition et ont façonné des pots et des épis de faîtages mais petit à petit leur formation esthétique plutôt intellectuelle et leur goût pour l’art de leur temps leur fait simplifier les formes, les styliser, et les détacher de la tradition. Ils révolutionnent l’art de la céramique et la pratique de l‘utilitaire, élargissent les horizons de ce petit village à des références lointaines et créent parmi les plus beaux vases, plats, théières, bols, assiettes et gobelets que le vingtième siècle aura probablement connu.
Ainsi les trente glorieuses ont vu émerger tant sur le plan de la production de l’équipement de la maison que dans celle artisanale du grès utilitaire, une relation très proche entre la forme et la fonction, l’une découlant de l’autre, se nourrissant mutuellement jusqu’à inventer ce qui, un demi-siècle plus tard est considéré comme le socle esthétique de tout ce avec quoi nous vivons aujourd’hui. C’est cette relation esthétique subtile entre forme et fonction que cette exposition entend mettre en lumière dans le premier design français et dans le grès de la Borne entre les années1950 et 1970.