Carole Chrétiennot
A quelques jours de la dix-huitième édition du Prix de la Closerie des Lilas, nous avons rencontré Carole Chrétiennot, sa fondatrice, mais aussi celle du Prix de Flore et du Prix Castel. Elle nous a raconté la naissance et l’histoire de ces couronnements littéraires qui chaque année créent l’évènement et récompensent des autrices et des auteurs dans un esprit joyeux, libre et insolent qui a toujours été celui de la rive gauche.
Chère Carole, le 25 avril prochain, lors de la remise du Prix de la Closerie des Lilas, nous fêterons aussi son dix-huitième anniversaire ?
Oui et ce prix est vraiment une merveilleuse aventure ! Après 12 années de prix de Flore à siéger avec un jury fixe et très masculin (dix hommes pour deux femmes), j’ai eu envie, en 2006, de créer un second prix littéraire avec un jury exclusivement féminin, tournant, qui récompenserait des romancières de langue française. Le jury fondateur est constitué de mes amies Tatiana de Rosnay, Stéphanie Janicot, Emmanuelle de Boysson, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Jessica Nelson et moi-même.
Chaque année, la présidente est une personnalité différente, par souci de transparence (Amélie Nothomb, Leila Slimani, Laure Adler, Josyane Balasko, Dominique Bona …), et le jury tournant est constitué de femmes artistes liées à l’écriture, qui n’ont pas forcément l’habitude de cet exercice. Dès la deuxième réunion, quand nous avons lu les livres et que nous commençons à en parler, je suis bluffée parce que chacune est très sincère : parler des livres c’est parler de soi, ce que chacune souligne c’est ce qu’elle voit d’elle-même et elles ne cachent rien, c’est magnifique ! Je trouve que l’amitié féminine, lorsqu’elle est sincère, est vraiment très belle.
Pourquoi avoir donné à ce prix le nom de la Closerie des Lilas ?
Parce que dans mon imaginaire ce lieu est une Femme ! Son prix a toujours revendiqué son côté féminin, féministe mais pas néo féministe et ses fêtes sont de grands moments de joie. J’ai connu La Closerie quand j’avais 17 ans et je suis tombée en amour pour ce lieu dès le premier regard. C’était un décor dessiné pour mes rêves, un lieu incarné par toute la génération perdue des années 20, qui y avait alors planté sa tente. A la Closerie j’aime le fait qu’on ne sache jamais qui passera la porte à tambour, c’est toujours une surprise ! Je me souviens de nuits magiques passées là-bas avec des artistes, de célèbres anonymes, des êtres flamboyants !
Douze ans plus tôt vous aviez créé le très célèbre Prix de Flore ?
Oui avec mon ami Frédéric Beigbeder. Le Flore est vraiment un lieu à part. Lors de la remise d’un prix, je me souviens, Frédéric avait dit : « Au centre du monde il y a Paris, le centre de Paris c’est Saint-Germain des prés et le monde entier se retrouve au Flore », c’est joli non ?
J’ai eu la chance de vivre mon adolescence, de grandir sur ces banquettes de moleskine. J’y ai aussi fait des rencontres extraordinaires qui ont aiguillé mon avenir : d’abord Monsieur Boubal, l’ancien propriétaire qui l’avait acheté en 1939 et qui m’a raconté toute l’histoire du lieu … Puis Monsieur de Giorgis, un érudit, un esprit libre et vif pratiquant la misanthropie à ses heures, principalement envers les prétentieux sans esprit, un germanopratin en somme ! Il m’a prise sous son aile et a décidé que j’étais littéraire. Il m’a emmenée à l’Ecume des pages et comme il trouvait que j’étais une romantique, il a décidé que nous commencerions par la littérature russe en prenant soin de n’oublier aucun de ses auteurs. J’étais prédisposée à ça mais le Flore a décidé du fait que j’allais vivre entre les livres, l’art, la musique, tout ce qui est de l’ordre du supplément d’âme, de l’inexplicable et qui en même temps nous emplit, nous enrichit. C’était une époque encore romanesque, très généreuse : certains laissaient des enveloppes à la caisse pour que des artistes aient la possibilité de venir tous les jours, d’autres offraient à boire à toute la salle !
Devenue adulte, l’idée du Prix de Flore m’a trotté dans la tête et en 1994, avec Frédéric, nous avons décidé de le créer. Mon inspiration était vraiment liée au lieu et à la fréquentation de cette bande de doux dingues qu’étaient la bande des frères Prévert et du groupe Octobre, qui avaient fait du Flore leur quartier général après avoir été virés des Deux Magots parce qu’ils étaient beaucoup trop bruyants. C’est ici, en pleine occupation, alors qu’il tournait « Les enfants du Paradis », que Prévert rencontra Sartre, Beauvoir et les existentialistes. La bande à Prévert était pour moi le point de départ de cette aventure. Le Café de Flore est le café de l’insolence et des artistes en devenir, on peut y être bruyants et débridés. C’est ce vacarme intelligent, cette transversalité des rencontres, les jeunes avec les vieux, l’art et la littérature avec le cinéma ou la musique, toute l’histoire que Monsieur Boubal m’avait racontée mais aussi celle que j’y avais vécue …. C’est tout cela que j’ai voulu insuffler au Prix de Flore.
Frédéric a constitué un jury avec l’idée de ne réunir que des gens qui ne se fréquentaient pas dans la vie, qui allaient accepter de se cogner un peu, juste pour l’amour de l’art ! Nous voulions inventer la vraie fête littéraire : inviter des gens beaux, libres, avec le verbe haut, en étant généreux. Mais ça n’aurait pas duré sans l’excellence des choix du jury, car nous avons aussi eu la chance de naître à peu près en même temps que la génération de l’auto-fiction : Despentes, Ravalec, Houellebecq, Dustan, Jaenada … Tous ces esprits hyper libres qui inventaient un nouveau ton au moment même où nous créions un prix d’un genre différent de celui des autres et qui se voulait tout aussi libre et insolent.
Mais vous vous ne vous êtes pas arrêtée là et vous avez créé il y a quatre ans un troisième prix littéraire, le Prix Castel ?
Oui à la demande d’un ami qui fait partie de l’association des actuels propriétaires de Castel, qui participe à rendre au lieu l’aura qu’ils ont connu à l’époque où Jean Castel en était le « Commandant ». Il m’a demandé d’imaginer un prix qui récompenserait un roman de la rentrée littéraire de septembre, avec l’idée que l’auteur et son écriture soient assez flamboyants pour qu’il s’attable avec Jean Castel, lui qui n’aimait que les gens intelligents, talentueux, fantaisistes et bons vivants. En 2023, c’est Arthur Dreyfus qui a été primé pour La Troisième main (P.O.L). Le jury est encore une fois passionnant, il se compose d’Emma Becker, Claire Berest, Vincent Darré, Étienne Gernelle, Eva Ionesco, Marc Lambron, Justine Lévy, Tobie Nathan, Jean-Noël Pancrazi et Gaël Tchakaloff.
Avez-vous une sorte de « Panthéon » littéraire à partager avec nous ?
Il change régulièrement selon mon humeur ! D’abord je suis un peu obsessionnelle, quand j’aborde un monde je vais voir un peu de tous les côtés : Fitzgerald m’a menée vers Hemingway puis vers Cole Porter en musique, Henry Miller vers Anaïs Nin. j’adore Herman Hesse mais aussi Georges Simenon, Balzac, Tolstoï, j’ai des goûts très éclectiques mais celui que je mettrai au sommet de ce panthéon, que j’ai lu et relu c’est Romain Gary. J’ai aussi des livres qui ne me quitteront jamais : Corps et Âme de Franck Conroy ou Le Livre de l’intranquillité de Pessoa.
La littérature est définitivement votre grande passion ?
C’est mon refuge et ça le sera toujours. C’est le paratonnerre aux jours gris, à la mélancolie, un véritable voyage sans avoir besoin de prendre l’avion. L’art aussi mais c’est très différent. Je n’ai pas été élevée dans un milieu où l’on allait dans les musées, je n’y connaissais pratiquement rien quand j’étais plus jeune. La première fois que je suis allée au MOMA avec un ami peintre, j’ai pleuré en voyant pour la première fois un Malevitch. J’ai versé des larmes devant mon ignorance mais lui m’a rassurée en me disant que l’art n’était qu’une affaire d’émotion et que si j’en ressentais en regardant une œuvre, c’est que j’étais juste. J’ai suivi son conseil, je n’ai pas appris le vocabulaire, j’ai appris par amour de l’art.