Gérard Garouste
C’est le printemps de Gérard Garouste à Paris. Trois expositions au même moment, organisées de concert sous le nom de “Zeugma” : aux Beaux-Arts, autour de Rabelais et de Dante, au musée de la Chasse et de la Nature, autour du mythe de Diane et Actéon et à la galerie Templon, autour du Talmud. Zeugma ? Une figure de style syntaxique, un “entre-deux, lorsqu’il manque un mot dans une phrase”. Mais aussi une liaison en grec, un “pont” selon Gérard Garouste, entre deux œuvres ou plusieurs expositions.
Tourmenté, érudit, curieux de tout, on pourrait le qualifier de fou génial sans le choquer puisqu’il ne cache pas ses troubles bipolaires, qui l’ont mené à séjourner de temps en temps dans les hôpitaux. Des troubles qui trouvent selon lui leur source dans l’enfance et l’histoire familiale, qu’il a longuement évoquée dans son autobiographie, L’Intranquille.
Ces errances qui l’ont poussé à étudier et à chercher des réponses dans les grands textes. Puis à créer, dans sa peinture, des synergies entre le Talmud, les récits mythologiques ou littéraires, et sa propre histoire, en s’attachant à créer un « entre-deux » qui fait surgir l’interrogation et l’humour (Il ne faut pas oublier qu’avant de s’orienter vers la peinture figurative, il réalisait, à sa sortie des Beaux-Arts, dans les années 70, de nombreux dessins d’humour et travaillait souvent pour les scénographies de son grand ami Jean-Michel Ribes ou pour celles des spectacles du Palace).
Son art est indissociable d’un engagement à la fois intime, spirituel et politique : « Si je peins armé des textes qui ont irrigué les siècles, fabriqué la pensée de nos aïeux, c’est pour regarder en nous, révéler notre culture, notre pensée dominante, notre inconscient. Je veux être un ver dans le fruit. »
Sa peinture figurative, mythologique, allégorique, est unique dans le paysage artistique français contemporain et lui a valu de nombreuses expositions à travers le monde, mais c’est la première fois qu’à Paris on peut avoir une telle vision d’ensemble de son œuvre.
Aux Beaux-Arts, Gérard Garouste a investi le cadre exceptionnel de la cour vitrée où il présente une série d’installations monumentales et de dispositifs théâtraux. Fausses tapisseries, anamorphoses, jeux d’oculi, labyrinthe, qui invitent le visiteur à pénétrer ce Grand oeuvre drolatique, mêlant sens caché et onirisme, références aux textes révélés et évocations de ceux de Rabelais et de Dante.
L’exposition dévoile un aspect méconnu de son travail à travers quatre pièces monumentales réalisées entre 1987 et 2003 : Les Indiennes, La Dive Bacbuc, Ellipse et Les Saintes Ellipses. Ces pièces, qui n’avaient plus été montrées en France depuis quinze ans, sont réunies pour la première fois.
Ces oeuvres ont pour point commun la technique particulière utilisée par l’artiste et qui a donné son nom à la première d’entre elles, les Indiennes (qui doivent initialement leur nom au fait qu’elles étaient importées des comptoirs des Indes) : de la peinture à l’eau sur toile encollée mais non enduite, donc absorbante ; il lui importait que ces oeuvres évoquent d’avantage la teinture que la peinture. Souples car sans châssis, elles se roulent comme un tapis et se déplacent au gré des événements.
Au Musée de la Chasse et de la Nature, il s’est intéressé au mythe de Diane et Actéon, relaté par Ovide dans ses Métamorphoses : Actéon, chasseur insatiable, s’aventure dans un bois et surprend la déesse Diane alors qu’elle se baigne nue avec ses suivantes. Lui, simple mortel, ose porter un regard de désir sur la divinité qui se venge en lui jetant un sort. Soudain transformé en cerf, il devient la proie de ses propres chiens qui le mettent à mort.
Pour cette commande du musée, il a multiplié les études, les dessins et les toiles. Singulièrement, la déesse Diane y ressemble à son épouse, Elisabeth, tandis qu’il prête ses traits au chasseur.
Chez Daniel Templon, une trentaine de nouveaux tableaux invitent le général Naaman et Pinocchio, Franz Kafka et Borges, les maîtres H’oni ou Bar Bar H’ana, le fils de l’artiste et son beau-frère décédé. Par associations d’images et d’idées, jeux sur l’intertextualité et les doubles sens, Garouste poursuit avec délectation son travail de renversement des interprétations et aborde ainsi des thèmes universels : l’Autre et le Temps.
« Regarder c’est apprendre, apprendre à lire ce qui n’est pas écrit » : Gérard Garouste est toujours à la recherche de l’implicite.