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Jasper Morrison

Early Works

Une exposition exceptionnelle organisée par Romain Morandi qui réunit les œuvres de jeunesse du célèbre designer britannique, mondialement reconnu et pourtant si discret. Romain Morandi a fait un long travail de recherche de pièces, travaillant de concert avec le Studio Jasper Morrison et le designer, qui ont rassemblé prototypes, travaux d’étude et premières éditions, de ses années de formation, à l’aube des années 1980, jusqu’à sa collaboration avec des éditeurs renommés comme Vitra ou Cappellini, moins d’une décennie plus tard.

Parmi les premières créations de Jasper Morrison figure la remarquable « Handlebar table » réalisée dans le cadre de son projet de diplôme au Kingston College, en 1982.Constituée de deux guidons de vélos traités à la manière d’un ready-made inversé, elle marque l’intérêt de Jasper Morrison pour l’Upcycling et la réintroduction d’objets manufacturés d’occasion dans le processus de fabrication. Cette œuvre d’une impressionnante maturité, joue un rôle déterminant dans l’affirmation de Jasper Morrison en qualité de designer et l’orientation de son travail à venir : « le plus important pour mon développement futur a été la combinaison réussie des trois matériaux – le bois, l’aluminium et le verre – dans leur état naturel ».

La « Laboratory light » conçue à partir de matériel de laboratoire acheté en magasin spécialisé lors de son voyage d’étude à Berlin l’année suivante,  pousse encore plus loin cette démarche. Pour Jasper Morrison « l’utilisation d’éléments préfabriqués ou prêts à l’emploi peut jouer un rôle important dans la réduction des délais de construction. Ces éléments peuvent être utilisés totalement hors contexte à condition qu’ils remplissent leurs rôles structurels et fonctionnels et qu’ils contribuent à l’aspect visuel général du produit. »

Constamment tourné vers l’expérimentation, Jasper Morrison démontre ainsi très jeune une rare aptitude à formuler une idée conceptuellement aboutie tout en embrassant l’ensemble des contraintes et paramètres qu’implique sa mise en œuvre. Il ne pense pas les objets à partir de leur supposée nature, mais à travers les forces qui les traversent et la relation entre eux des différents éléments qui les composent. « Mon intention en concevant ces objets était d’éviter de les concevoir… d’utiliser les matériaux de la manière la plus évidente et de les laisser dicter les formes ».

La chaise « Plywood », dont l’exécution participe encore à l’origine d’une logique artisanale, marque le passage de Jasper Morrison à la production en plus large série. Invité par Christian Borngräber à participer à l’exposition « Some New items from the Home » à la  galerie DAAD, à Berlin, en 1988, Morrison doit composer avec de faibles moyens : « j’ai dû la construire moi-même, et le seul outil dont je disposais était une scie à guichet électrique et quelques morceaux de bois ». Le recours au Do it yourself  résulte encore alors pour le jeune designer autant d’un choix que d’une nécessité. Travaillée en 2D, puis assemblée à l’aide de simples vis et de colle, la chaise « Plywood »  offre une souplesse qui s’avère être un véritable argument de confort. Cela lui vaut d’être éditée par Vitra en 1989, suivie de toute une gamme de mobilier d’une extraordinaire élégance.

Le bureau édité à seulement dix exemplaires par la Galerie Néotu, à Paris, la même année, constitue sans aucun doute la pièce la plus complexe de Jasper Morrison en contreplaqué. Sans artifice et aux proportions harmonieuses, il dissimule de nombreux tiroirs dans un subtile jeu de courbe / contre-courbe.

Derrière la simplicité virtuose qu’exhalent les objets de Jasper Morrison, se cache un perfectionnisme à toute épreuve et une attention accordée au moindre détail. L’une de ses oeuvres les plus emblématiques, le « Thinking man’s chair », a ainsi vu son dessin amendé plus d’une centaine de fois par le designer. Présenté chez Aram, à Londres, le fauteuil est remarqué par Giulio Cappellini qui, séduit,  propose d’en assurer la production. Le « Thinking man’s chair » est dévoilé à la Foire de Milan en septembre 1988 où il rencontre un succès immédiat. La collaboration avec Cappellini se poursuit en 1989 avec la console « One-Legged » initialement dessinée pour un appartement privé de Kensington.

Chaise longue, fauteuils et canapé de la collection « Sofa » partagent cette même apparente sobriété. Tandis que la structure, solide et statique, est soulignée d’une courbe sensuelle, les coussins, par nature souples et mobiles, prennent en contrepoint la forme de volumes géométriques. De cette subtile tension nait une sensation d’évidence, aux antipodes du « geste » qui caractérise la production de cette époque, notamment en France ou en Italie.

C’est cette relation naturelle à l’objet que Jasper Morrison va théoriser sous le terme de Supernormal. Selon lui, l’effacement de l’Auteur s’impose comme un prérequis « si nous voulons concevoir des objets plus réels, plus durables et plus agréables et éviter le piège du concepteur consistant à accorder trop d’importance à l’apparence des choses. ». Des objets qui « remplissent une ou plusieurs fonctions si naturellement que leur utilisation devienne instinctive, voire inconsciente (un trombone par exemple, ou un briquet Bic) ». Des objets « tellement ancrés dans notre existence quotidienne que nous nous retrouverions désemparés sans eux. ». C’est là tout le génie de Jasper Morrison : ses objets ont su, au fil du temps, intégrer nos intérieurs de leur présence discrète si bien qu’il s’avère difficile de s’en passer.

du 7 novembre au 14 décembre 2024

GALERIE ROMAIN MORANDI

18 rue Guénégaud 75006 Paris