Florence Lopez
Sa Datcha Symboliste
A chaque fois la visite de son atelier est une surprise. On ne sait ni à quelle époque ni dans quel univers l’antiquaire et décoratrice Florence Lopez a choisi de nous faire voyager. La dernière fois c’était au Brésil avec Roberto Burle Marx, puis nous l’avons retrouvée avec le décor du restaurant Mon Square, mais il s’est passé quelques années avant que son célèbre atelier ne change de décor. Un temps qui nous a semblé long mais qui a permis à Florence Lopez de réaliser de nombreux chantiers privés, d’ouvrir un nouveau lieu à Londres et de créer cette nouvelle histoire qu’elle nous raconte aujourd’hui.
Florence, c’est une joie de te retrouver dans ce lieu qui, pour nous, est emblématique de la vie germanopratine !
Cet atelier est une succession de boites magiques, je ne sais jamais ce qu’il va en sortir et j’aime beaucoup l’idée que l’esthétique soit un mouvement perpétuel. En fait, le décor de Roberto Burle Marx a eu une longue histoire … Entre 2016 et 2020 il a eu une vingtaine de parutions dans le monde entier. J’avais fini par complètement me l’approprier, je m’y sentais chez moi. Puis la crise du Covid est arrivée, j’y ai alors beaucoup travaillé pour des projets privés, J’avais vendu très vite les meubles de ce décor sur divers projets, il ne me restait que le merveilleux lit de George Nakashima et la fresque sur le mur. J’ai d’ailleurs commencé à travailler sur le décor actuel à ce moment-là. Depuis longtemps j’avais envie de créer une scénographie autour de cette période 1900-1920, qui est courte mais que je trouve majeure et d’un raffinement incroyable. Quand tu travailles dans ton propre univers, que tu es familier de l’endroit, c’est formidable, tu as le temps d’apprécier et de confirmer tes choix.
C’est le seul décor que j’ai mis six ans à créer, je l’ai effacé, modifié, retouché plusieurs fois … J’avais déjà chiné quelques meubles : en 2021 j’avais acheté ce miroir peint art nouveau de Gustave Serrurier-Bovy, une pièce que, je pense, on n’avait encore jamais vue. J’avais acheté, à Vienne, la banquette de Koloman Moser de 1905, puis cette bibliothèque à mécanisme de Carlo di Carli, une pièce unique que je trouve vraiment très belle et qui provient de la Casa Roditi à Milan … Parmi les pièces que j’ai découvertes plus récemment, il y a cette paire de fauteuils 1920 de Vittorio Zecchin, un artiste que l’on retrouve dans les collections du Musée des Arts Décoratifs.
C’est un décor très différent des précédents ….
Le premier décor que j’ai créé ici en 1995 faisait déjà référence à l’ Art & Crafts et à la Sécession Viennoise. J’aime beaucoup ces périodes brèves et transitoires dans l’histoire des arts décoratifs. Quand j’étais jeune et entourée d’amis antiquaires érudits, j’étais fascinée par les intérieurs des aristocrates russes avant la révolution, c’était des gens qui voyageaient beaucoup, on retrouvait chez eux aussi bien la Sécession Viennoise que des lignes fluides inspirées de la nature vivante ou des références presque byzantines. La Maison Gorki, à Moscou, en est encore un exemple emblématique. J’admirais alors aussi beaucoup le travail du marchand bruxellois Pierre Eden qui à l’époque m’appelait Miss Knopf ! Spécialiste de Serrurier-Bovy, il vivait dans un univers très symboliste, entouré de chats, très « symbolistes » eux aussi ! Il y avait alors un immense bouillonnement dans les arts décoratifs, on redécouvrait des pièces oubliées et je chinais déjà des pièces d’Adolf Loos ou d’Otto Wagner. Pour mon premier décor dans cet atelier j’ai montré ce mobilier par petites touches, mais en gardant l’esprit d’un atelier d’artiste en patinant juste les murs d’un halo crème. Le photographe Jacques Dirand m’a offert douze pages dans World of interiors et c’est ce qui a fait connaître l’atelier de la rue du Dragon.
Cette fois tu as consacré l’ensemble de l’atelier à cette période ?
Quand j’ai envoyé les trois décors de l’atelier avec les couleurs que je souhaitais à mon peintre, il a été très inspiré par leur juxtaposition. Mais bien sûr, comme souvent, les teintes ont changé au fur et à mesure de la conception. J’aime les décors qui racontent une histoire et dont l’atmosphère change avec la lumière. Avec les aplats par exemple, la couleur vibre mais l’ambiance reste plus ou moins la même. J’aime plutôt les décors qui nous aspirent ou qui sont comme une fuite …. Philippe Garcia, qui a photographié ce décor, a vraiment su en capter l’esprit, la lumière et les tonalités.
Dans la première partie de l’atelier c’est au symbolisme que je voulais rendre hommage avec des fresques qui racontent plusieurs histoires dans une même pensée, assez musicale, une sorte de petite datcha symboliste que j’avais dans un coin de ma tête. J’associe beaucoup le symbolisme au rêve. Le miroir peint art nouveau de Gustave Serrurier-Bovy est un peu le contrepoint de cette réinterprétation de la forêt de Klimt sur le mur opposé, que je ne voulais d’ailleurs pas qu’on reconnaisse vraiment. Je la voulais telle un fond de décor de théâtre, un peu mouvant, avec des tonalités différentes de l’original.
Juste à côté, sur la cheminée, j’ai souhaité créer un fond de décor très différent, avec un motif dont je me suis inspiré, découvert à la Galerie Arcanes, sur des vases 1920 de l’Atelier du Revernay.
Pour le second mur du salon, je me suis inspirée de plusieurs décors d’Odilon Redon, dont celui très frappant de l’Abbaye de Fontfroide. Gustave Fayet y avait commissionné Redon en 1910 pour peindre les murs sur le thème du jour et de la nuit. J’en ai encore une fois modifié les couleurs et le mouvement car je voulais une version plus éclatante du décor d’Odilon Redon.
Je désirais accrocher des objets dessus, et même des appliques, pour sublimer cette fresque symboliste, mais quand les meubles sont arrivés, j’ai juste apposé ces feuilles de Bella Silva qui semblent balayées par le vent … Je voulais que ce soit un décor animé, car le monde d’Odilon Redon est peuplé de rêves et de choses étranges.
Tous les objets qui sont posés sur le mur suivant évoquent d’ailleurs une forme d’onirisme ?
J’avais en tête ce merveilleux plat en céramique 1890 que j’ai depuis très longtemps, dont le décor m’évoque l’univers d’Edgar Poe, avec tous ces hannetons qui s’échappent d’un poudrier bleu. L’applique en cuivre de la lune 19ème m’évoque évidemment aussi Odilon Redon, lorsqu’elle est allumée, sa lumière est magnifique …
Pour le mobilier tu as encore une fois choisi de brouiller les codes en mélangeant les périodes ?
Je voulais évoquer les années 20 en les mélangeant à d’autres périodes pour le mobilier. Si je n’avais choisi que des meubles Arts & Crafts par exemple, j’aurais trouvé cela ennuyeux. Déjà, pour le décor en hommage à Roberto Burle Marx, j’avais choisi très peu de mobilier brésilien. Je voulais le même éclectisme. Il y a même une touche très contemporaine avec les tables en céramique de William Coggin, mais elles vont, je trouve, dans le même mouvement, comme les feuilles de Bella Siva qui suivent le mouvement de l’arbre.
D’ailleurs, parallèlement à ton travail d’antiquaire, tu as toujours mis en valeur les artistes contemporains que tu apprécies ?
Oui c’est vrai, mais tous ces artistes ont en commun une grande poésie et j’ai de vraies affinités avec eux. L’échange avec les artistes est toujours très stimulant, lorsque j’ai travaillé avec Mathias Kiss par exemple, sur le décor que je créais pour le restaurant Mon Square, nous nous sommes mutuellement inspirés.
Ce sont les connexions, les analogies entre les objets ou les pièces de mobilier qui t’intéressent ?
Ce sont des fils conducteurs qui ne se révèlent que lorsque le décor paraît. J’aime naviguer d’une époque à une autre en essayant de ne jamais être complaisante avec la mode ou le marché de l’art.
Dans la seconde partie de l’atelier, on change d’atmosphère …
Pour le coin à dîner, je voulais créer un peu comme une respiration entre le décor de l’atelier et celui des chambres avec ces meubles 1905 de Robert Oerley que j’ai achetés il y a très longtemps et dont j’aimais beaucoup la couleur anis. Je leur ai associé ce lustre de William Arthur Smith Benson 1900 qui est tout à fait incroyable. Je me suis amusée à sacrifier des foulards de soie anciens que j’adorais pour en faire les assises des deux fauteuils.
Dans la deuxième partie de l’atelier, je n’avais pas d’idée préconçue, j’étais juste certaine de vouloir que la verrière soit dorée. Pour la chambre-bureau, j’ai créé pour les murs une couleur rose poudré qui change de teinte selon le temps ou l’heure du jour. Je lui ai associé un merveilleux tapis en ficelle 1930, une console en mosaïque anonyme 1920 et une bibliothèque de Milo Baughman 1960.
Pour la chambre, j’avais envie de créer un petit théâtre. j’ai trouvé un lit de Mathieu Matégot qu’on n’avait jamais vu que j’ai recouvert d’un drap de laine brodé de losanges de Jean-François Lesage et accompagné d’une lampe de Nogushi 1950. Sur le mur, j’ai voulu rendre hommage au peintre américain Milton Avery en faisant aussi un clin d’œil moderne aux forêts symbolistes de Klimt et de Redon.
Tu as également ouvert un nouveau lieu à Londres ?
C’est aussi un atelier d’artiste et il ne sera vraiment visible qu’en 2025. J’avais envie d’être plus proche de mes clients anglais et j’adore Londres ! Ce mélange incroyable d’histoire et d’excentricité est très joyeux et j’aime beaucoup les pièces qu’on trouve en Angleterre, ils ont encore des niches d’objets qui m’attirent, qui sont vraiment originaux. Ce sera un lieu confidentiel comme celui-ci. Montrer ces décors sur rendez-vous me laisse une liberté que je chéris.
Photographies Philippe Garcia, tous droits réservés
l’Atelier de FLORENCE LOPEZ
est visible sur rendez-vous au 06 60 44 3375
P