Francesco Balzano

Elu cette année par le magazine AD comme l’un des 100 plus grands designers français, Francesco Balzano a d’abord travaillé auprès de Joseph Dirand avant d’ouvrir son propre studio en 2018 et de commencer à concevoir un mobilier de collection présenté dans différentes galeries d’art et de design en France, en Europe et aux Etats-Unis.

A la même époque, il débute un travail photographique qui ne va plus cesser d’accompagner son travail de création, nourrissant son regard et ses inspirations, car pour lui, l’art est un moyen de voir, une manière d’habiter poétiquement le monde. Né à Paris, où il a grandi, sa culture visuelle est pourtant empreinte des images de Venise, Florence, Rome et Capri, où il passait ses vacances d’été. C’est donc une facette inédite de son travail que nous allons découvrir chez Tourrette, avec l’exposition «Pensieri» qui réunit un ensemble de trente-quatre photographies et une collection de cinq pièces de mobilier résolument contemporaines, illustrant ainsi le lien et la discussion artistique tangible qui s’installe entre les émotions de l’instant et une retranscription volumétrique.

Francesco, c’est la première fois que vous montrez ces photographies réunies sous la forme d’une collection que vous avez appelée « Pensieri » ?

C’est un travail que j’ai initié il y a seulement trois ou quatre ans mais qui ne cesse depuis de nourrir ma création en design. Je voulais absolument le présenter chez Tourrette. Carole Korngold a un univers très singulier qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Mais j’avais très envie de montrer à la fois mes photographies et mon travail de designer, un peu comme un inventaire de mes influences et de mes réalisations, mais aussi un dialogue entre des images qui s’inscrivent dans l’instant et leur retranscription en volume.

Auparavant vous vous « nourrissiez » des photographies d’artistes au langage également très sensible ?

Je dirais que Luigi Ghirri, Paolo Roversi, Sarah Moon, Masao Yamamoto ou François Halard sont un peu mes maîtres en photographie. C’est leur travail qui m’a longtemps nourri et le fait encore.

Que ce soient des nature mortes ou des portraits, “Pensieri” forme un véritable ensemble ?

Toutes ces photographies représentent un travail sur l’instant. Je les ai réalisées entre la France et l’Italie. C’est la lumière sur un objet ou la poésie d’un geste que j’ai voulu capter, car ils sont toujours la trace d’une émotion. J’ai travaillé au Leica, à l’argentique, avec des tirages en chambre noire, à l’ancienne, comme une sorte d’hommage à Henri Cartier-Bresson. Je ne les ai pas recadrées intentionnellement pour que le cadre du négatif soit visible. Dans cet esprit, j’ai aussi choisi un format et un papier qui retranscrivent vraiment ce que je voulais donner à voir.

Dans une nature morte, n’est-ce pas sa propre émotion que le photographe tente de capter ?

C’est un peu la volonté de prolonger un instant, d’en garder une trace significative et intime. Je n’ai pas de règles en ce qui concerne mes sujets, c’est un mélange de beaucoup de choses, des gens, des architectures, des objets, qui, je crois, m’influencent dans mon travail. Ce qui m’intéresse aussi, c’est de créer ensuite un dialogue entre ces images.

Un dialogue que vous initiez avec un accrochage très précis ?

C’est un travail très intuitif mais réfléchi. Une façon presque architecturale de réunir les choses, par blocs, un peu à la manière de Lewis Baltz. J’ai volontairement choisi un encadrement très simple, qui ne prend pas le pas sur les images, pour qu’elles puissent, encore une fois, créer une sorte de dialogue entre elles, une musicalité dans l’espace. Elles font aussi le lien avec mon travail de designer, on y voit des influences et des choses qui me sont chères : l’Italie, l’Antiquité, la Renaissance, la pierre … Ce sont des tirages très académiques qui contrastent avec un design très contemporain.

Car vous avez aussi également créé une collection de mobilier spécialement pour l’exposition et pour Tourrette, comme un écho à cette série de photographies ?

Ces pièces, éditées à  cinq exemplaires exclusivement pour Tourrette, font vraiment partie de la scénographie. Elles sont le lien avec mon travail de designer. Dans cette exposition je voulais montrer le rapport entre toutes les influences qui nourrissent mon travail. J’ai donc créé une collection de  cinq pièces : un banc, un vase, une colonne, une console, un tabouret, fabriqués en résine. C’est une matière très aérienne, presque savonneuse que j’aime beaucoup. Dans un vocabulaire très minimaliste, elles créent un contraste avec les photos qui sont, elles, très académiques. J’avais presque envie que ces pièces s’effacent aux côtés des photographies, qu’elles soient silencieuses, tout en apportant une sorte d’acidité.

Dans vos collections, vous travaillez plus souvent des matières naturelles comme la pierre ou le bois ?

Oui, essentiellement avec des matériaux nobles, qui s’associent si bien avec la pureté des lignes. J’aime le dessin autant que la matière, je dis souvent que je dessine plus avec une gomme qu’avec un crayon, dans la veine d’architectes comme Mies Van Der Rohe.

Pourtant vos créations de designer s’inscrivent tout de même dans un style qui fait référence à l’Italie, avec une forme de richesse dans l’épure ?

Je ne m’en rends pas vraiment compte, mais comme pour mon travail de photographe, mon design est un peu une analogie de mes racines. J’aime le minimalisme mais je n’ai rien contre l’ornement, la pureté des lignes restant pour moi la plus belle des sophistications. Mais je ne suis pas enfermé dans une signature, j’aime l’idée de jouer avec les matières et les formes. Ce qui m’intéresse ce n’est pas la finalité d’un travail mais plutôt le cheminement, l’exploration, l’émotion, le travail avec les artisans d’art aussi. La plupart de mes pièces sont fabriquées par les ateliers Saint-Jacques, qui ne sont pas une entreprise mais une association qui forme de jeunes artisans. Au-delà de leur travail exceptionnel, c’est aussi cette idée de transmission qui me plaît.

FRANCESCO BALZANO