Marie Beltrami

Qu’elle le veuille ou non, Marie Beltrami est une icône. Une icône discrète, certes, qui ne cherche jamais à avoir sa place sur la photo parmi tous les créateurs ou les gens connus qui l’entourent, mais que tous reconnaissent à la fois comme une styliste de génie et une immense source d’inspiration, un personnage à part. De ses années entre le Palace et les Bains, ses amis chic ou punks, sa longue collaboration avec Jean-Paul Goude, elle n’oublie rien, Marie est une artiste même si elle s’en défend souvent. Sous ses mains, devant ses yeux, chaque chose prend la forme d’une œuvre ou d’un accessoire de mode. Dans sa vie aussi, tout semble être poésie : son univers surréaliste, les murs de son appartement recouverts de petits mots des gens qu’elle aime, les amis qui vont, viennent, restent quelques temps. Son petit Monde à Elle. Ses créations, ses bijoux posés ici et là. Marie est une punk aux cheveux rose bonbon et au cœur de Madone. Elle est une ode à la féminité, à la liberté et à la fantaisie.

Marie, vous avez toujours vécu dans un « entre deux », artistique, créatif, chic et punk à la fois, un monde qui n’appartient qu’à vous.

Marie Beltrami : Oui et maintenant on l’accepte, avant ce n’était pas le cas. J’ai besoin de ça, d’avoir plusieurs espaces, de ne pas rentrer dans des cases. Et puis je n’aime pas les règles. J’ai toujours fait plein de choses. J’en ai longtemps caché certaines, souvent sous mon lit ! Des dessins, des projets de bijoux. Aujourd’hui je les ressors, petit à petit, et j’ai plein de nouveaux projets. J’adore ça ! Quand je me lève le matin et que j’ai envie de créer, que c’est là, c’est mon plus grand bonheur, je n’ai même plus envie de m’habiller, c’est le plus beau moment de ma journée, j’existe vraiment. C’est un peu magique !

Dès votre arrivée à Paris, dans les années 70, vous avez rencontré Nikki de Saint-Phalle, qui vous a tout de suite « adoptée ».

A ce moment-là je m’étais improvisée couturière. Quand j’ai connu Nikki et Marina de Grèce, elles m’ont demandé de leur créer des vêtements. En fait je ne savais pas vraiment coudre, j’apprenais en faisant et en défaisant. A Milly la Forêt, chez Nikki et Jean Tinguely, je cousais, Marina peignait et Nikki sculptait. Avec Marina nous avons créé les costumes des deux films que Nikki a tourné. On ne se quittait pas toutes les deux à ce moment-là et d’ailleurs, chaque fois que l’on se retrouve aujourd’hui, c’est comme une conversation ininterrompue qui reprend.

Puis il y a eu les Années Palace ?

Aujourd’hui, les gens me demandent de leur raconter des anecdotes mais je n’ai rien à dire : on se déguisait, on faisait la fête, c’était gai, c’est tout ! Qui était qui ? On s’en fichait ! Quand j’ai connu des punks, j’ai choisi de mélanger tout le monde et ça a marché. Pour fêter mes trente ans, on a fait une fête où se côtoyaient princes, princesses, punks et artistes ! On vivait comme ça à l’époque. On aimait tous le burlesque, la fantaisie. Aux Bains, Farida et Paquita empêchaient certaines personnes célèbres de rentrer mais elles ne le faisaient jamais avec les excentriques.

Votre bande est restée un peu la même, malgré les Absents ?

Les grandes Absentes : Nikki bien sûr. Loulou de la Falaise aussi, on se croisait au Palace mais on a mis longtemps à devenir amies, elle était tellement fidèle, tellement vraie. Puis Jean-Paul Goude, même si nous sommes moins intimes aujourd’hui. Je vois toujours Eva Ionesco, j’ai fait les costumes de son film, qui sortira en janvier, “Jeunesse Dorée”. Son fils Lukas aime venir ici parfois, il s’installe pour quelques temps. J’aime aussi beaucoup la fille de Loulou et de Thadée de Klossowski, Anna. Je suis très proche des enfants de mes amis. J’aime beaucoup Arielle Dombasle, avec qui je viens de travailler aussi pour son prochain film. C’est une belle personne, qui aime vraiment les gens.

Ces nuits-là sont devenues un mythe aujourd’hui.

J’habitais entre le Palace et les Bains Douches, alors les gens se retrouvaient souvent chez moi. C’est vrai, nos nuits étaient un peu folles, on s’amusait beaucoup et nous étions plutôt des originaux, mais moi je travaillais aussi. C’est à cette époque que j’ai commencé à faire des colliers d’épingles à nourrice, grâce aux punks. Je faisais quelque chose avec tout ce que je trouvais, tickets de métro, phares de GS, tapis de douche … et ce sont devenus des sacs, des accessoires.

Des accessoires ou des œuvres d’art ?

Non, c’étaient des accessoires de mode. Je les créais parce que je ne voulais pas ressembler aux autres, porter les mêmes choses, tout ce qui était à la mode ne m’intéressait pas. Ensuite j’ai créé des vêtements, j’ai fait quelques collections mais je n’ai pas eu le temps d’aller plus loin car en 1987 j’ai rencontré Jean-Paul Goude. J’ai arrêté tout travail personnel pour ne plus travailler qu’avec lui mais ça ne me manquait pas parce qu’on était un peu dans le même registre, féérique, on travaillait en symbiose : lui devant, moi derrière, mais j’aimais bien cette place, un peu en retrait. Ca a duré vingt ans. On travaillait énormément, mais on riait aussi.

Quand j’ai repris ma liberté, j’ai retrouvé mes créations, recommencé à travailler pour moi. A refaire des bijoux, des accessoires, à chercher ce que je pourrais faire à partir de rien ou de pas grand-chose, comme je l’avais toujours fait. J’ai commencé une collection de dessins par exemple en voyant des tâches, des formes, en les superposant. Elles sont devenues des personnages à part entière, un peu au gré du hasard. Pour pouvoir créer, je n’aime pas avoir trop d’informations, trop me cultiver, je veux me débarrasser de tout ce que je sais pour pouvoir faire autre chose. J’ai écrit un petit poême qui commence ainsi : « Je ne veux rien savoir pour tout inventer …. « . Bien sûr, comme tout le monde, je vis dans un monde d’images, mais j’essaye de m’en débarrasser.

Certains de ces dessins ressemblent un peu aux poupées cintrées que vous aviez exposé au Musée des Arts Décoratifs ?

C’était un peu la même histoire. J’étais au téléphone, j’avais un cintre dans les mains, je l’ai plié, j’avais un ou deux accessoires rapportés d’un shooting avec Jean-Paul et l’idée de la poupée a surgi. Avec mes bijoux aussi, je prends souvent des objets du quotidien que je transforme et quand ils deviennent bijoux plus personne ne voit l’objet que c’était à l’origine.

Louiz Elizabeth, la souris, est un peu la star de vos créations en ce moment.

Les filles l’adorent oui ! Il y a deux collections, l’une plus précieuse que l’autre. On peut en mettre plusieurs à la fois, les accumuler. Elles sont nées par hasard elles aussi : j’étais chez Alexis Mabille et un chat jouait avec une souris en mousse, je lui ai piqué sa souris et je l’ai redessinée. Les premières souris étaient des broches, maintenant ce sont des bagues.

Racontez-moi l’histoire d’ Une Vie timbrée, une autre aventure étonnante.

Pendant quatre ans, J’ai envoyé environ 350 lettres timbrées avec de toutes petites photos de moi au fil de ma vie, bébé, communiante, jeune femme … ce qui est forcément hors la loi. Je demandais aux récipiendaires de me les renvoyer, oblitérées, le cachet de la Poste faisant foi, et la plupart l’ont fait. J’en ai envoyé à mes amis, Philippe Starck, Jean-Paul Goude, Jean-Baptiste Mondino …. Et quand j’ai compris que tout le monde se prêtait au jeu, j’ai décidé d’en envoyer aussi à la reine d’Angleterre, à Barack Obama ou Angela Merkel, puis à Marie Antoinette, Jim Morrison, Attila, Molière ou Louis II de Bavière, avec comme adresses leurs lieux de sépulture, vrais ou supposés. On me répondait « décédé » ou « inconnu à cette adresse », mais La Poste continuait à me renvoyer ces enveloppes. Tout le monde est entré dans le jeu en me renvoyant un mot, une lettre, un dessin, c’était merveilleux !

Il y a quelques jours, un ami de Marie m’a dit, au détour d’une conversation, “qu’en toute poésie, Marie ne touchait pas terre”. Un joli résumé, à mon avis, pour parler de cette créatrice si talentueuse, de cette personnalité si généreuse et de cette femme à part. A très vite, Marie.

MARIE BELTRAMI