Lou Carter
Lou Carter est un personnage multiple. D’abord danseuse, puis chorégraphe, elle a décidé il y a quelques années de se consacrer à une autre forme d’art. Galeriste, curatrice, elle défend une vision différente et propose une version singulière de l’exposition. Rencontre dans sa galerie, un écrin noir qui contraste radicalement avec l’esprit du White Cube.
Vous avez débuté votre vie de galeriste de manière originale, en adaptant vos expositions aux lieux ?
Ma première exposition, il y a environ quatre ans, avait lieu dans un atelier. Tout se passait autour du tableau vivant d’un repas dominical. Chacun des membres d’une même famille semblait être représenté autour de la table ; les traits de sa personnalité liés à un objet d’art, une œuvre, un contexte. Des mégots dans un cendrier, des accessoires qu’on laisse traîner sur la table à la fin du dîner … Bref, toute une histoire racontée avec les œuvres de 13 artistes, designers, artisans d’art sélectionnés pour leur réponse au thème.
J’ai ensuite imaginé la Chambre dans un appartement Directoire de Saint-Germain des Prés. Puis il y a eu le Covid. Dès que nous avons été déconfinés, j’ai improvisé Les rendez-vous masqués : une nouvelle exposition différente toutes les deux semaines pour se retrouver, continuer de présenter mes artistes, surtout. Comme tous ces évènements avaient eu un certain succès, j’ai décidé d’ouvrir une galerie plus classique dans le Marais. En fait, je m’y suis rapidement ennuyée, cela ne me correspondait pas.
Aujourd’hui, mon espace est confidentiel, plus personnel, rien n’y est figé. Dans cette galerie, les gens qui font la démarche d’entrer ont l’air de s’engager dans quelque chose, parce que ce lieu est intime. Ils ne sont pas seulement des visiteurs, l’endroit leur parle, je crois.
Au premier abord, cette galerie, sous la forme d’une boîte noire, pourrait évoquer le cabinet de curiosités, mais ce n’est pas du tout ce que vous en faites ?
Le fait que les murs soient noirs peut, peut-être, donner cette impression, mais c’est bien ce que je présente qui donne son esprit au lieu. Et à chaque exposition cela change. En ce moment c’est une scénographie très léchée, narrative, qui sert de thème, mais la prochaine exposition sera plus le dialogue des formes, moins dans le lyrisme.
Pourtant le noir sur les murs est un vrai parti pris ?
En quelque sorte. Mais avant tout c’est d’intimité dont il est question. Une relation entre le lieu d’exposition et la personne qui le visite. En fait le noir parle de lui-même. C’est une couleur rigoureuse, élégante, abondante, même si en effet elle n’est pas habituelle pour un espace d’exposition. Mais pour les lieux comme pour les relations humaines, j’aime la délicatesse, les cheminements indirects, la complexité aussi.
Le noir est un peu votre page blanche ?
Oui c’est vrai, La page blanche est plutôt noire ici ! J’évolue le plus souvent dans la sensation, une prédisposition à l’instinct, je crois. Mon point de départ ne peut donc pas être blanc, cela ne me correspond pas. Je préfère partir de quelque chose de dense pour l’épurer plutôt que l’inverse. La contrainte d’un thème curatorial à développer pour chaque exposition fait partie de ce processus.
Comme c’est le cas avec cette exposition, Soft Talk …
Oui, j’ai aimé placer une nouvelle fois mes artistes dans un moment, une parenthèse de vie. Une parenthèse sensuelle sans doute, mais le succès de cette exposition montre que les collectionneurs s’y sont identifiés. J’ai invité six de mes artistes à produire 3 ou 4 pièces durant l’été. Leurs remarquables réponses à cette commande m’ont inspiré ce petit déjeuner entamé comme un prélude charnel. Cela fait appel au souvenir, donc résonne en chacun. C’est une installation mais bien sûr chaque pièce est à vendre.
Ces scénographies font-elles écho à votre ancien métier de chorégraphe ?
Bien sûr. Et de fait, c’est le même métier. Une structure, des savoir-faire qui sont mis en dialogue, en relation et en valeur autour d’elle. Cette structure disparaît in fine et se soumet à la qualité des protagonistes qui la traduisent. C’est un spectacle figé. La magie de l’instant !
La galerie est en quelque sorte une nouvelle scène ?
L’espace galerie EST une scène ! Je n’ai rien inventé…
Quel est le lien entre les artistes que vous exposez ou leurs points de convergence ?
Mon point de ralliement est le plus souvent attaché au courant abstrait. Mais finalement avec le temps, je réalise que c’est avant tout l’absence du corps qui m’anime. Rien de bien étonnant au regard de mon passé.. Et aujourd’hui différentes possibilités d’extension s’offrent à moi. A l’instar des photographies d’Antoine Geiger que l’on voit ici, et que j’exposerai en 2024, j’inscris ma ligne éditoriale dans une autopsie du corps, presque chirurgicale je crois : usage, ornements, beauté du détail, fragment, absence … C’est d’ailleurs tout le sujet de la Maison Carter que j’ouvrirai en 2024 : j’y réunirai différents savoir-faire – haute facture pour la majorité – au service du sujet de l’ artiste exposé. Seront déclinés l’accessoire, la joaillerie, le vêtement, le design de collection … bref tout ce qui alimentera la narration entre les œuvres et l’espace ; comme une collection sybarite.
Vous me disiez avoir vous-même un rapport particulier aux œuvres ?
Disons qu’il y a un rapport à l’identification qui m’est cher, l’intimité qui se crée avec l’objet. Mon marqueur serait la capacité à faire communiquer les œuvres entre elles, en un langage que je précise au fur et à mesure que j’avance dans ma manière de programmer. Mais disons que je crois surtout que la beauté guérit. Elle rassérène immédiatement. Et si je peux y participer, cela me va !