Olivia Roland
Elle rédige des portraits de créateurs, se plonge dans les sagas des acteurs du luxe, s’intéresse à la culture ou l’art de vivre pour les plus jolies publications. Mais si je rencontre aujourd’hui Olivia Roland, c’est parce qu’elle est elle-même une créatrice multi facettes avec, depuis toujours, l’upcycling comme credo. Dans son atelier-appartement, à l’ombre du jardin du Luxembourg, tout est à son image : beau, créatif, féminin, chaleureux, intime. Entre ses mains, chaque chose prend une forme nouvelle, unique, à mi-chemin entre la mode, la décoration et l’artisanat d’art.
Olivia, tu as toujours fait de l’upcycling dans tes créations, bien avant que cela ne devienne un mouvement dans la mode, mais comment est né le Pokicoat, cette cape réversible doublée d’un patchwork de foulards de soie anciens ?
Un jour, il y six ou sept ans, je suis tombée en arrêt sur un fond de foulards vintage dont les soies étaient incroyables : de véritables tableaux datant des années 50 à 80. C’était l’été, je l’ai acheté mais je ne savais pas trop ce que j’en ferais. L’hiver est arrivé et, comme je suis frileuse, j’ai eu l’idée de créer cette pièce, un vêtement hybride, entre le poncho, le kimono et la cape, complètement réversible, qui convient aux femmes comme aux hommes, et qui peut se porter de mille façons. Certains sont complètement fous, mélangeant les brochés aux soies multicolores, d’autres plus sages, en cachemire uni et foulards aux imprimés classiques, mais chacun est unique, comme celui qui se l’approprie.
Tu as toujours beaucoup chiné ?
Oui toujours. Je chine partout, en France et à l’étranger. C’est comme ça que je trouve des merveilles. J’ai toujours créé des choses. Bien avant la mode de l’upcycling. Je portais des pièces que l’on me donnait et que j’adaptais tandis que j’en donnais moi-même, modifiées d’un revers de tissu ou de boutons anciens. J’aime profondément que la matière circule. Je crois que je n’obéis pas aux tendances, cette envie, ou ce besoin de transformer les choses, de les rendre vivantes, je l’ai toujours eu en moi. Comme une nécessité d’accompagner le mouvement naturel de la vie.
Tu développes désormais ta cape en association avec les ateliers Petit h, sorte de laboratoire de création pour Hermès ?
C’est une si jolie histoire, et une chance folle que mon Pokicoat, pièce qui glorifie la beauté du foulard de soie, ait séduit les ateliers Petit h. Quelle joie, et quel honneur, de composer des pièces uniques, à partir des matières exceptionnelles réunies à Pantin, et de côtoyer les artisans de la Maison.
Dans les ateliers Petit h, on associe tous les savoir-faire de la maison Hermès avec celui des artistes et des designers, qui, comme toi, créent de nouveaux objets ou vêtements à partir des fonds de matières ?
Oui, l’idée géniale et visionnaire de Pascale Mussard, à l’origine de Petit h, c’est d’avoir rassemblé en un lieu unique toutes les matières non utilisées par la Maison mère et ses filiales. Et d’avoir demandé à des créateurs extérieurs d’imaginer à partir de morceaux de cuir, de verre, de métal, des pièces uniques réalisées in situ par les artisans. Quand je travaille pour Petit h, aujourd’hui dirigé par Godefroy de Virieu, c’est pour composer des capes avec une liberté totale dans l’association des foulards et des matières.
La production reste très limitée et la fabrication tout à fait artisanale ?
Absolument. Petit h, ce sont des pièces élaborées une à une et diffusées en petites quantités, dans la boutique de la rue de Sèvres, au travers de ventes événementielles et désormais d’un site. Et je suis si heureuse car ma cape plait ! Elle figure parait-il au palmarès des créations les plus désirées.
Avec ces patchworks de foulards, tu associes toutes sortes d’étoffes ?
Oui, du cuir, du cachemire, des draps de laine brodés magnifiques, de l’éponge et même de la fourrure. Cette cape, comme ils la nomment chez Petit h, est une page blanche. Son architecture permet toutes les fantaisies. On peut lui ajouter un col, des poches, la raccourcir ou la rallonger. Et en dehors de Petit h, je continue à la fabriquer avec mes propres matières.
Lorsqu’on les regarde, posées à plat, tes créations ressemblent à de vrais tableaux ?
J’utilise les foulards comme un peintre les couleurs, j’ai sans doute un œil, une sensibilité artistique. Et tant mieux quand mes créations touchent au cœur et à l’âme ou disent quelque chose. Je crois que j’ai surtout un sens du mélange. J’ose faire coexister des choses et ça marche, me dit-on ! C’est tellement réjouissant.
Tu as longtemps parlé de l’intime dans tes créations. Comme avec l’écriture, tu racontais des histoires ?
C’est vrai. C’est peut-être aussi une manière d’être au monde. Après la mort de ma mère par exemple, j’ai commencé à créer des collages où je réunissais des photos dont je n’avais plus les négatifs, des mots, des lettres, pour ne pas figer les choses, mais les transformer, une manière aussi d’éviter la nostalgie, de passer à autre chose, d’épouser l’impermanence.
Depuis l’enfance, je crée et surtout transforme des tas de choses. Dans notre maison familiale, j’ai retrouvé des jouets miniatures, des objets anciens, disparates, certains précieux, d’autres pas. J’ai décidé d’en faire des colliers avec des rubans. Comme des objets oubliés à qui je donnais une nouvelle vie. Ils ont eu beaucoup de succès ; j’ai été distribuée au Palais de Tokyo, aux Galeries Lafayette. Je chinais, des amis me donnaient des objets dont ils ne voulaient plus, j’entassais boîtes à trésors et à boutons, et fabriquais des colliers qui réhabilitaient la clef laissée au fond du tiroir.
Tu crées aussi des vêtements, des coussins, des plaids, qui sont, encore une fois, des pièces uniques ?
Oui avec des foulards ou des tissus vintage. J’adore également détourner les choses, que des rideaux deviennent des robes, des draps brodés une tunique d’été ou qu’à l’inverse, un tissu de costume se transforme en jeté de lit, et j’aime tellement les étoffes, elles murmurent à tous mes sens !
Crédits Photo : 1,3,4,5 Julien Drach ; 2,6 Astrid di Crollalanza ; 7,8 Fabrice Gousset