Olivier Gagnère
Il a grandi à Saint-Germain des prés, tout près de la rue de Beaune où son père fut l’un des premiers antiquaires dans un quartier qui maintenant leur est dédié. Autodidacte, Olivier Gagnère est pourtant devenu l’un des plus grands designers français, se réclamant de la longue tradition des arts décoratifs en perpétuant ce style qui est notre signature à travers le monde. Sa manière de twister les formes, les couleurs ou les matières semble être une source créative inépuisable. Profondément éclectique il travaille depuis toujours aux côtés des grandes Maisons dans une émulation constante, entre objet, mobilier et décor, nouant avec les artisans des relations de pairs. Rencontre avec un créateur passionné et un homme passionnant.
Olivier, vous fourmillez de projets pour cette rentrée ?
Oui, des choses très diverses : avec la Galerie Kréo, nous avons initié une collection de grands vases en verre soufflés par les ateliers Venini à Murano. Des vases aux couleurs pastel, des roses très délicats, des verts ou des bleus pâles qui ne sont pas dans la veine des couleurs vénitiennes habituelles, plutôt fortes. Ils seront présentés au PAD London et dans la section Design de Art +.
De nouvelles céramiques aussi, des très grands vases, avec Edition Limitée, mais aussi pour Bernardaud, à la fin de l’année. Chez Pouenat, pour la Design Week, je montrerai des pièces déjà connues mais aussi des lampes en osier tressé que je suis en train de créer.
Vous avez l’habitude de travailler avec des artisans d’art du monde entier ?
Je travaille surtout avec des artisans français, italiens ou japonais. L’Italie est un peu mon deuxième pays, depuis longtemps. Le Japon, lui, a été une grande découverte. Mes premiers voyages m’ont permis d’explorer les différentes techniques de céramique qui étaient pratiquées à travers le pays. Comme je voulais absolument travailler avec cinq couleurs, on m’a emmené à Arita, sur l’île de Kyūshū. C’est là que j’ai découvert la Manufacture Fukagawa, fournisseur officiel de la famille impériale depuis 150 ans.
Je les ai beaucoup fait souffrir, les pauvres, en les faisant travailler sur des choses qu’ils ne connaissaient pas, mais les japonais sont extrêmement rigoureux et consciencieux, ils mettent toujours un point d’honneur à réussir ce qu’ils entreprennent. Et ils tournent vraiment la porcelaine avec un savoir-faire extraordinaire et ancestral. Dans les années 80 un voyage au Japon était une aventure haute en couleurs, ils ne parlaient pratiquement pas anglais. Je logeais dans un petit ryokan, dont le patron cuisinait merveilleusement bien, toute la région venait là pour s’y restaurer ou prendre des bains dans la source d’eau chaude et pour beaucoup c’ était la première fois qu’ils voyaient un occidental.
A Arita, à Murano ou encore à Limoges, vous nouez souvent des relations fortes avec les artisans ?
Ce sont toujours des gens très curieux du travail des designers, qui aiment se dépasser et qui ont des savoir-faire qui m’enthousiasment. Monsieur Fukagawa, qui dirigeait la Manufacture d’Arita, adorait la culture occidentale. Chaque fois qu’il venait à Paris, il allait à la Manufacture de Sèvres dont il admirait beaucoup le travail, auquel pourtant il n’avait rien à envier ! A Arita il avait créé un Musée de la Céramique, auquel il avait associé une salle de concert car c’était aussi un grand mélomane. Je me suis d’ailleurs aperçu que les porcelainiers et céramistes avaient tous un rapport très étroit avec la musicalité. C’était aussi le cas de Pierre Bernardaud.
Vous aimez travailler avec tous les matériaux et même souvent les mélanger ?
Simples ou luxueux, tous les matériaux m’intéressent : la céramique, le verre, le cristal, mais aussi la terre, le bois, le métal et même la fourrure ! Quand c’est possible j’aime aussi les associer bien sûr.
Votre père, pourtant antiquaire, refusait catégoriquement que vous fassiez une école d’art ?
Il souhaitait que je fasse de longues études classiques, mais comme lui je suis devenu autodidacte !
Et grâce à lui vous avez été à bonne école, votre regard sur les choses était déjà différent ?
Avant d’être antiquaire, avant-guerre, mon père travaillait avec des décorateurs, des ensembliers comme Jean-Michel Frank, Jacques Adnet … C’est après-guerre qu’il a choisi de devenir marchand et qu’il est devenu un spécialiste reconnu du 18ème siècle. Nous avons donc, mes sœurs et moi été élevés dans une vraie culture des arts décoratifs et j’en ai très vite eu le goût. Mon père nous faisait partager sa passion, il nous parlait de la provenance des objets, des diverses techniques de fabrication … Et puis j’étais curieux, je voulais absolument comprendre comment les choses étaient fabriquées et je voulais apprendre à les réaliser moi-même. J’ai commencé par dessiner de l’orfèvrerie, parce que c’était de petites architectures.
Puis vous êtes parti pour l’Italie ?
J’y ai rencontré Ettore Sotsass et toute sa bande du mouvement Memphis. J’ai découvert des gens qui réalisaient des choses complètement hors normes, à contre-courant du style Slick de l’époque. Eux faisaient du néo-baroque mélangé à du pop, avec plein de couleurs, c’était iconoclaste et joyeux. Ca m’a poussé à dessiner des choses qui sortaient des sentiers battus mais aussi à apprendre comment elles étaient fabriquées. J’ai ensuite utilisé ce design très radical avec des techniques classiques, de dorure, de patine que j’aimais beaucoup et bien m’en a pris car je les ai ensuite beaucoup utilisées.
Certaines de vos pièces sont devenues des classiques du design ?
Certaines sont en quelque sorte devenues iconiques. La tasse à cabochons que j’ai créée pour Bernardaud il y a une trentaine d’années, par exemple, a permis à la Maison de s’ouvrir à d’autres choses que les services classiques et continue d’avoir du succès.
J’aime donner la possibilité aux objets que je dessine de durer dans le temps, de le traverser. C’est aussi une chose que je dois à mon père : quand vous vivez entouré de pièces anciennes, vous voyez comment elles évoluent dans le temps et vous devez toujours avoir en tête la manière dont vos créations vont cohabiter avec les autres éléments du décor. Les objets sont des capteurs de sentimentalité, qui nous rappellent des évènements ou une façon de vivre et deviennent parfois une partie de nous-même. Quand on les conçoit, on doit donc penser à la manière dont les gens se les approprieront.
Mais en plus de la création, vous maitrisez totalement la production de vos objets ?
Parce que chaque détail, en plus d’être décoratif, a une fonction. Si vous dessinez un objet ou même un meuble, et que vous ne savez pas comment il va ensuite être produit, vous ne le ferez pas correctement parce que les détails sont absolument essentiels. Quand on prend un objet en main, il a une fonction et dès le dessin on ne doit pas l’oublier. Le manche d’un couteau doit se caler dans la paume de la main, un verre ne doit pas glisser entre les doigts. Les cabochons que je pose sur le verre ne sont pas seulement esthétiques, je me suis inspiré des fragolle que les maitres verriers utilisent à Murano pour cacher les impuretés et je les ai utilisés pour donner à la main sa position sur le verre. De même, les anses des tasses que j’ai créé pour Bernardaud sont faites en queue de cheval pour que les doigts puissent s’y poser sans se brûler. Je me suis inspiré de ce qu’on appelle la tasse litron : lorsqu’on a commencé à boire du café et du chocolat au 18ème siècle, s’il était brûlant, pour le refroidir on le versait de la tasse à la sous-tasse et inversement, c’est pourquoi les deux ont le même volume.
Vous pensez qu’aujourd’hui on peut dire qu’ il y a un style Gagnère ?
Il est éclectique mais identifiable c’est vrai. Le style est quelque chose d’un peu mystérieux : Il faut savoir associer, décliner, mélanger. Votre sensibilité, votre goût permettent ensuite de recréer quelque chose de singulier. Le regard est essentiel : j’ai beaucoup appris en regardant ce qui m’entourait, plus qu’en étudiant. Partout où je suis allé, aussi bien dans les musées que partout ailleurs, je me suis attaché à des détails insignifiants ou imperceptibles, en contemplant une architecture, un tableau, un paysage … ce sont eux qui m’intéressent et m’inspirent le plus dans mon travail comme dans la vie.
Designer mais aussi décorateur et ensemblier, pour le Lido, pour des restaurants comme celui de Pierre Gagnaire à Séoul, et pour le Café Marly, qui est peut-être votre réalisation la plus connue du grand public ?
Il fallait s’approprier le lieu et le sublimer. C’était la partie 19ème du musée et sous Napoléon III on redécouvrait Pompeï et ses couleurs, les jeunes artistes se devaient de voyager pour étudier l’Antiquité. J’ai donc voulu reprendre ces couleurs antiques pour les murs en les modernisant un peu avec un motif très simple. J’ai demandé à Pierre Bonnefille de créer des patines qui s’inspiraient de L’Antiquité mais avec cette espèce de vibration qu’on retrouve dans les œuvres de Rothko ! Les conservateurs ont parfois été un peu dubitatifs, je me souviens de leur tête quand ils ont vu qu’on calcinait les murs au fer à repasser ! Pour le mobilier, les luminaires, j’ai mélangé des codes contemporains à d’autres plus classiques, qui s’associent parfaitement au décor. Cette aventure est un souvenir extraordinaire, mais on m’y a beaucoup associé et évidemment je ne voulais pas refaire deux fois la même chose.
Vous dont les créations figurent aujourd’hui dans les collections des plus grands musées (Musée des Arts Décoratifs, Centre Pompidou à Paris, MOMA et Museum of Arts and Design à New-York, Musée d’Art Moderne de San Francisco, Indianapolis Design Museum, Musées d’Art Moderne de Pékin et de Shanghai …), vous ne trouvez pas qu’aujourd’hui les musées parisiens nous échappent parfois un peu ?
C’est devenu compliqué d’y aller sur un coup de tête, au moment où l’on en a envie. J’y vais encore parfois pour des évènements mais beaucoup plus rarement qu’avant. Je me souviens il y a longtemps, pour passer rive droite j’enjambais le pont des arts puis j’entrais dans le musée du Louvre en traversant la Galerie des Etrusques et je ressortais rue de Rivoli. Pour un franc je m’offrais 250 ou 300 mètres de pur bonheur ! Maintenant c’est un véritable parcours du combattant que d’y entrer.
Vous êtes aussi collectionneur ?
Je dirais plutôt amateur. J’ai acheté beaucoup de choses par plaisir, dans les galeries mais aussi chez des amis artistes ou d’autres avec lesquels je travaillais.
Vous aimez le travail de vos contemporains ?
Oui et j’aime travailler avec eux. Il y a quelques années, avec Jean-François Lesage, Thomas Boog et Hervé Van Der Straten, nous avons créé un meuble à à huit mains, une sorte de cadavre exquis, j’ai beaucoup aimé travailler ainsi, entre amis et dans cette émulation créative !
Certaines rencontres vous ont marqué plus que d’autres ?
La plupart des rencontres que j’ai fait dans ma vie professionnelle ont été source de plaisirs et de succès, d’Ettore Sottsass à Jean Louis Dumas en passant par la famille Bernardaud, Clémence et Didier Krzentowski, Samuel Coriat et, bien sûr, la Famille Maeght. Mais il y a aussi tous les artisans avec qui j’ai eu le privilège de travailler : le ferronnier Pierre Basse, les céramistes Augusto Tozzola, Claude Aiello, la famille Fukagawa à Arita ainsi que les maîtres verriers Lino Tagliapetra, Davide Fuine et Caramela. Cette liste est remplie de merveilleux souvenirs, les meilleurs assurément, les autres je les oublie !
Où trouver les créations d’Olivier Gagnère :