Paul du Pré de Saint Maur

Être un jeune designer, déjà reconnu par ses pairs, et s’inspirer résolument d’une période que le monde de l’art loue mais que celui du design actuel ne revendique pas vraiment, c’est cet esprit singulier qui séduit immédiatement dans le travail de Paul du Pré de Saint Maur. De cette passion pour la Renaissance, il convoque les codes, les transforme, les réinvente, pour créer des pièces uniques, intemporelles, mais aussi des univers hors du temps. Ses collaborations avec les artisans d’art sont déjà multiples, mais à leurs côtés, il continue à travailler sur le style et les matériaux, cherchant toujours à créer de nouvelles expressions formelles. Rencontre au pied levé entre la présentation de sa première Collection de mobilier et les derniers détails d’un chantier exceptionnel.

Paul, vous êtes l’ un des jeunes designers dont on parle beaucoup, mais avant de créer votre propre studio, vous avez débuté aux côtés de Pierre Yovanovitch ?

C’était un bel apprentissage. Ses projets sont multiples. Même si l’on reconnait sa patte, ils obéissent d’abord aux désirs du client. Pierre est quelqu’un qui a un œil rare et de grandes qualités humaines. Il sait fédérer ses équipes autour d’un projet en restant toujours ouvert aux idées des autres, pour que chacun puisse insuffler un peu de sa personnalité dans un travail commun.

Vous aviez auparavant choisi de faire vos études d’architecture à l’étranger ?

Je n’aimais pas vraiment l’académisme des écoles françaises. Je suis d’abord parti à Glasgow car l’Ecole d’architecture est également très réputée pour son cursus d’ingénieur, ce qui me semblait important pour mieux construire ensuite. C’était un apprentissage passionnant, dans lequel je me suis senti vraiment libre. Pendant toute ma formation, mes professeurs m’ont poussé à comprendre ce que je voulais vraiment faire et m’ont appris à me construire par moi-même. Puis j’ai étudié à Rome, une ville sublime qui continue de beaucoup m’inspirer dans mon travail.

Vous avez en quelque sorte fait, comme les artistes du dix-neuvième siècle, un voyage initiatique ?

Oui et cela m’a permis de réaliser que la France reste exceptionnelle pour l’étude très poussée des choses et la perfection des réalisations. C’est vraiment un art français. Je pense notamment à Jacques et Ange-Jacques Gabriel, architectes du roi, ou encore à Ledoux, qui avaient absolument tout étudié et ont su associer tous ces codes comme personne. Nous sommes un pays cérébral qui crée avec un héritage qu’il doit apprendre. Les italiens par exemple, sont pétris dans cet héritage, ils vivent avec et l’utilisent aussi, mais de manière plus spontanée. Je crois qu’il est important de voyager. D’habiter à New York, à Rome, à Glasgow, m’a permis de comprendre que nous étions très gâtés en France.

Vous louez d’ailleurs les qualités de l’artisanat d’art français ?

Sans la qualité d’exécution de certains artisans, de nombreux chantiers ne pourraient pas être réalisés. Leurs savoir-faire sont exceptionnels et chaque matériau est sélectionné avec le plus grand soin avant de subir une transformation entre leurs mains …… François Pouenat, les Ateliers de La Boiserie ou les Ateliers Fey sont pour moi de véritables compagnons de travail et de création.

Vous présentez aujourd’hui votre première collection de mobilier, appelée Cinquecento, en hommage à la Renaissance italienne ?

C’est une collection qui comporte huit pièces. Par leur design et leur matérialité, elles s’ancrent toutes dans un patrimoine historique tout en restant vraiment contemporaines. Aucune forme n’a été dessinée au seul gré de mon inspiration, mais est plutôt le résultat d’une étude constante de l’histoire et du recul que je peux avoir sur cette période.
Avec le canapé Carlino par exemple, j’ai voulu créer un design polyvalent, à la fois contemporain, mais avec des techniques anciennes comme le parchemin, qui permet de l’intégrer aussi bien dans un cadre historique que dans un univers actuel. Chaque pièce est réalisée à la demande et personnalisable selon les désirs et l’univers du client avec de la marqueterie de pierre, du cuir de Cordoue, de la laque …

De même, avec le canapé Carlo et le fauteuil Andrea, j’ai souhaité créer un équilibre serré entre histoire et contemporanéité avec des proportions simples qui s’inspirent de l’architecture classique du XVe siècle.

Le pouf Filippo est, lui, encore plus marqué par la Renaissance ?

Je l’ai conçu comme un témoignage de la relation entre l’empire ottoman et la république florentine. Ce pouf s’inspire de l’architecture de la Renaissance italienne et conserve l’essence des sièges du Moyen-Orient.

On retrouve aussi ces codes dans vos différentes tables ?

Camillo et Francesco sont de petites tables d’appoint ou des chevets. Pour elles je me suis inspiré de l’architecture des temples et plus tard des églises, un simple plan rectangulaire qui a subi des distorsions ou des ajouts pour le rendre plus solennel.

Lorenzo, la table basse a, elle, pour but d’attirer le regard là où il ne va habituellement pas. Le cercle dans un carré est une figure qui apparaît constamment dans l’architecture et surtout à la Renaissance où le motif était utilisé dans tous les domaines de la création artistique. On retrouve ce motif sur les façades, les sols, les portes et même sur les meubles. Le plateau en loupe de chêne ajoute aussi un détail subtil qui contraste avec le cadre plus brut, comme c’était souvent le cas avec les ornements et l’architecture.

Sur cette pièce vous avez collaboré avec votre frère Pierre, qui est sculpteur …

Il a lui aussi cet amour de l’ancien, en tout cas pour le sujet. Nous sommes très proches et échangeons beaucoup, aussi bien à propos d’art que de philosophie et il nous est donc venu assez naturellement l’envie de travailler ensemble. Nous avons d’abord commencé par ébaucher des idées de thèmes et de formes afin de trouver le meilleur cadre pour cette collaboration et c’est à ce moment-là que la table basse a commencé à émerger ainsi que le thème réinventé des puttis, comme il l’avait d’ailleurs été à la renaissance avec le travail de Donatello. Ici, quatre puttis représentent un quadriptyque allégorique figurant l’amour, la mort, le travail et le loisir.
J’ai également trouvé intéressant l’idée de collaborer avec d’autres artistes pour orner la collection. Ainsi, nous avons des sculptures de Victor Guedy qui peuvent apporter une touche inattendue par l’ajout d’un univers décalé avec ses Broacs (oiseaux imaginaires). J’aimerais aussi travailler avec d’autres personnes pour créer des motifs de marqueterie de pierre ou avec le cuir de Cordoue. Cette idée me permet de me distancer de mes propres designs mais aussi d’engager un dialogue avec d’autres univers. C’est cette même idée qui poussait des architectes comme Palladio ou Sansovino à faire appel à des peintres et des sculpteurs pour “compléter” leur oeuvres.

Et la dernière pièce de la collection, mais pas la moindre, Michelangelo, le lit … magistral !

C’est l’endroit le plus intime d’une maison et pourtant il est souvent négligé en tant que meuble, alors que nous y passons une grande partie de notre vie. Ce lit a été conçu comme un croisement entre le tableau, notamment avec la tête de lit à cadre, et l’architecture avec sa structure solide et bien proportionnée. Ainsi, il évoque à la fois la solidité d’une maison et la délicatesse d’une œuvre d’art. Ces deux aspects démontrent en quelque sorte à quoi sert un lit.

Dans le design actuel, ce gout pour la Renaissance vous permet d’être à la fois dans l’air du temps et singulier …

Tout m’inspire dans la Renaissance : villas, églises, monastères, chaque détail architectural , chaque motif … Cet équilibre entre l’étude, l’invention, la spontanéité est inégalé. Cette époque où l’on s’est réapproprié une image très libre de l’Antiquité, a créé une émulation extraordinaire grâce à des artistes exceptionnels et donné à l’histoire des arts décoratifs des modèles intemporels.

Votre dernier projet, la première boutique de parfumerie Bienaimé, est très loin de cet univers ?

C’est d’abord une jolie histoire : Cecilia Mergui, ma cliente, est une grande collectionneuse d’objets, de dessins et de
mobilier Art Déco. En chinant elle a découvert un poudrier de la marque Bienaimé et en faisant des recherches elle a découvert que Robert Bienaimé était un grand parfumeur des années 30-40. Elle a décidé de racheter sa marque pour lui donner un nouveau souffle. De mon côté j’ai voulu créer un écrin inspiré de ces années-là, en restant fidèle à certains codes, mais en y apportant un peu de modernité, sans grand geste radical. Pour ce faire j’ai notamment travaillé avec le directeur artistique Damien de Medeiros.

L’ Art Déco n’est pourtant pas l’une de vos périodes favorites dans l’histoire des arts décoratifs ?

Je l’ai beaucoup étudié mais je trouve que nous n’avons pas le recul nécessaire pour nous en approprier les codes. Tous les créateurs de cette époque s’intéressaient eux-mêmes à des choses beaucoup plus anciennes, que ce soit l’Egypte pour Marc du Plantier ou encore l’art des mayas pour Frank Lloyd Wright, et c’est aussi ce qui faisait toute la richesse de leur création. Il faut essayer de créer son propre univers en s’inspirant du passé, chercher le point de convergence. C’est ce que j’essaye de faire en ce moment avec la rénovation d’un château en Bourgogne.

C’est un chantier de grande envergure ?

C’est un château dix-neuvième dont les inspirations sont déjà multiples comme le faisaient beaucoup d’architectes à cette époque. J’ai gardé tout ce qui m’inspirait en modifiant certains codes mais en cherchant à ce que cela s’inscrive dans la continuité pour que l’ensemble reste cohérent, notamment dans la colorimétrie. Je cherche à travailler dans une évolution incrémentale des choses, jamais radicale. Six pièces de la Collection Cinquecento feront d’ailleurs partie du mobilier.

Photos Collection Cinquecento : Arthur Fechoz

Photos Bienaimé : Damien de Medeiros