Robert Mazlo
Le luxe ultime pour un bijou : qu’il soit créé pour vous, à votre image, et qu’il soit à la fois imaginé et créé par le même joaillier. Des pièces uniques que Robert Mazlo réalise dans son atelier aux portes de Paris, tout en perpétuant une tradition familiale qui a débuté en 1470. Et dans sa galerie germanopratine, c’est aux artistes du bijou contemporain international que ce grand amoureux des arts fait la part belle.
Robert Mazlo, dans cet atelier vous imaginez et réalisez seul vos bijoux. Vous êtes le seul à travailler ainsi en Europe aujourd’hui ?
La joaillerie est un art très secret et très compartimenté. En fait pour qu’une seule personne connaisse tous les métiers nécessaires à la création d’un bijou, il lui faudrait presque un apprentissage de 160 ans. C’est pourquoi différents corps de métiers coexistent. Les maisons de haute joaillerie font appel à des artisans de génie mais qui ne communiquent pas du tout entre eux et qui travaillent même parfois dans des pays différents. Ici, dans cet atelier, tous les métiers de la joaillerie sont réunis pour me permettre d’accomplir moi-même toutes les opérations nécessaires à la création d’une oeuvre: l’alliage, la fonte des lingots, le laminage, l’étirage, la sculpture sur cire, la cire perdue, le travail traditionnel à l’établi (limage, perçage, soudure, etc), la ciselure, le repoussé, le sertissage, la gravure, l’émaillage, le polissage, la galvanoplastie, la taille des pierres. La seule chose que je ne fais pas, c’est d’aller extraire moi-même les matériaux que j’utilise !
Robert Mazlo – Bague “Imperator”
Vous dites que de nombreux ateliers sont à l’étranger, pourtant Paris reste une place unique au monde pour la joaillerie ?
Oui, et je pense qu’elle le sera toujours en tant que capitale historique de la joaillerie mais elle ne pourra conserver cette place à long terme que si elle maintient à la fois un haut niveau d’éducation technique et une créativité en phase avec son époque. Beaucoup d’ateliers se trouvent maintenant en Chine, et la 3D se substitue, petit à petit, à tous les savoir-faire manuels qui obligeaient l’artisan à exercer son esprit et à trouver des solutions inédites. Les éléments constitutifs des bijoux, chatons, corps de bague ou maillons arrivent déjà apprêtés dans les ateliers. Cela n’est pas nouveau mais c’est un aspect de ce métier qui est souvent méconnu du grand public. Aujourd’hui la joaillerie se résume le plus souvent à un simple travail d’assemblage qui ne sollicite que peu de savoir-faire et encore moins de créativité de la part de ceux qui l’exécutent. De mon côté, j’ai tout mis en oeuvre pour réunir ces métiers en un seul lieu, comme un îlot dans lequel je résiste !
Quels sont, en quelques mots, les principales étapes de fabrication d’une bague ?
Chaque pièce est différente, d’autant qu’il m’arrive très souvent de travailler à partir d’un bijou existant qu’il s’agit de déconstruire pour le réinventer. Mais quitte à schématiser un peu disons que je pars de la matière brute, or ou argent, et non d’un métal déjà apprêté. Je procède moi-même à la fonte dans des lingotières. Les alliages, dont j’ai des centaines de recettes, ne sont malheureusement plus enseignés en France aujourd’hui.
Ensuite, je sculpte le métal avec un ciselet et un marteau puis je peux éventuellement émailler à l’égyptienne, c’est à dire à chaud, technique que j’ai apprise dans les ateliers traditionnels pendant mes années de formation italiennes. J’utilise également la fonte à la cire perdue pour certains corps de bague et surtout je taille moi-même les pierres brutes. Chaque pierre et sa mise en scène au travers du sertissage s’envisagent de manière différente en fonction de ce que l’on veut faire dire à l’oeuvre.
Comment avez-vous fait pour connaître ainsi tous ces corps de métier ?
Je suis né dedans mais surtout, j’ai continué à apprendre toute ma vie, me retirant parfois pendant plusieurs années pour me consacrer à la recherche. Il faut sans cesse expérimenter pour trouver les meilleures résolutions techniques d’une expression artistique.
Robert Mazlo – Bague “Castiglione”
Vous ne réalisez jamais deux fois le même bijou ?
J’ai toujours envisagé mon métier ainsi, comme une association étroite entre art et joaillerie. Le bijou doit ressembler à celle ou à celui qui le portera, qu’il soit fait sur-mesure ou le fruit d’une élection, comme lorsque vous retrouvez le reflet exact de ce que vous êtes dans une oeuvre d’art. Idéalement, il faut aussi qu’il le protège, car le bijou est un talisman. Les métaux, leur forme, doivent s’ordonnancer différemment pour chaque individualité. Même la structure formée par les pierres ou le choix des pierres en fonction de leur système cristallin spécifique doivent être pensés en harmonie avec la personnalité du porteur. Un bijou réussi est le reflet de son propriétaire.
Est-ce que devenir joaillier était pour vous une évidence, après une si longue histoire familiale ?
Non. Adolescent je voulais écrire, utiliser les mots pour raconter des histoires. Mais dès l’âge de 14 ans, je passais mon temps libre dans les ateliers pour apprendre le métier. Depuis, je raconte donc des histoires, les miennes et celles des autres, à l’aide de mon propre langage, en créant des bijoux uniques, des oeuvres-histoires à porter.
Combien de temps prend la réalisation d’un bijou ?
C’est très variable mais le sur-mesure permet justement ce luxe de prendre le temps, de capter l’essence d’une personnalité, pour que la personne garde ensuite, toute sa vie durant, le souhait de porter son bijou, qu’il soit hors du temps et transmissible. Si une pièce est faite à son image, elle sera nécessairement composée de suffisamment de strates de significations pour ne jamais cesser de surprendre. C’est cette unicité qui fait d’un bijou une véritable œuvre d’art.
Robert Mazlo – Bague “Entre deux Mondes”
C’est l’objet de nombreuses discussions, avant d’entamer le processus de création ?
Oui, car je dois non seulement « capter » une sensibilité, mais aussi la guider et saisir sa structure. Chacun porte une part de divin en soi qui doit transparaitre dans le bijou. Même le triste, le grave, le drame peuvent être sublimés et devenir beaux. Femmes ou hommes, mes clients ne sont pas forcément très friands de bijoux à la base. La plupart du temps, ils n’ont pas d’idée précise de ce qu’ils souhaitent, mis à part l’envie de porter un objet qui soit absolument unique et un prolongement d’eux-mêmes.
Le bijou devient presque un objet transitionnel ?
Oui tout à fait ! Les gens touchent d’ailleurs beaucoup leurs bijoux lorsqu’il s’agit de se rassurer. Surtout dans des situations de stress ou de fortes émotions. Le bijou est un peu comme le drapeau d’une nation, il parle pour vous. Inconsciemment ou non, on s’en sert pour signifier quelque chose aux autres, au monde. Mais encore une fois, c’est avant tout un talisman, il est là pour protéger celui ou celle qui le porte. Il peut cristalliser aussi bien l’amour que la crainte, la haine que le désir que des personnes auraient pu diriger autrement sur la personne elle même. En fait c’est un bouclier autant qu’un drapeau. Il n’y a qu’à voir l’usage qu’en font des femmes politiques comme Madeleine Albright ou plus récemment la reine Elisabeth II d’Angleterre pour comprendre à quel point un objet aussi anodin qu’une broche peut s’avérer un puissant moyen de délivrer un message que les conventions ne permettent pas de dire tout haut …
Robert Mazlo – Bague “Adamas Rex”
Deux de vos créations figurent dans des collections très prestigieuses : la bague « Le Fil du Temps », classée au nombre des dix bagues les plus emblématiques du 20ème siècle par l’Historisches Uhren-Museum de Wuppertal, et la bague « Hermès Trismégiste » au Deutsches Edelstein Museum d’Idar-Oberstein, en Allemagne
Oui, l’Historisches Uhren-Museum possède une collection de montres et de bagues très importante, certainement comparable à celle du Victoria and Albert Museum à Londres. Il faut dire que le bijou contemporain est depuis longtemps beaucoup plus apprécié dans le reste de l’Europe, aux États-Unis et plus récemment en Asie. Pourtant beaucoup d’artistes de ces pays souhaitent exposer à Paris.
Justement, dans votre galerie germanopratine vous avez créé un lieu hybride, qui mélange art et joaillerie, qui réunit les artistes autour de thématiques très diverses.
Je n’imaginais pas d’autre lieu pour cette galerie. Je ne voulais pas qu’elle soit située dans un quartier traditionnellement dévolu au bijou et j’étais magnétiquement attiré par ce quartier. Historiquement, le creuset du bijou se trouve à Paris et dans des endroits comme celui-ci. J’ai depuis découvert que Benvenuto Cellini, qui est pour moi un « Dieu » de l’orfèvrerie, travaillait à quelques mètres de là, à l’Hôtel de Nesle, pendant son séjour à Paris. D’ailleurs, pour moi les mouvements artistiques les plus marquants prennent leur source dans ce quartier, quelle que soit l’époque. Les artistes sont vraiment heureux d’exposer dans ce lieu, à Paris. Et de mon côté, j’aime l’idée de faire renouer la création contemporaine avec l’histoire, l’art et le sacré.
Mais vous auriez aussi pu choisir de créer un lieu plus classique, où vous n’auriez montré que vos créations.
J’ai toujours eu envie de créer un lieu où les visiteurs et les collectionneurs découvriraient une autre approche du bijou, vu comme une œuvre d’art à porter, toujours dans un dialogue entre art et joaillerie. Les hommes notamment, sont souvent plus sensibles à cette manière de voir le bijou, totalement différente de la joaillerie traditionnelle qui le cantonne à une fonction ornementale.
De mon côté, cela me permet de dédier de plus en plus de temps à mes oeuvres de création pures et de voyager à la rencontre des artistes, des galeries et des institutions du monde entier pour concrétiser des partenariats et des collaborations futures. Aujourd’hui le bijou sur-mesure n’occupe plus qu’une part infime de mon temps et seulement s’il représente pour moi un challenge stimulant techniquement et humainement. Cela me permet de privilégier des projets artistiques personnels qui feront ensuite l’objet d’une exposition à la galerie.
Chacune des expositions de la galerie s’approche d’ailleurs de manière très différente, vous mixez parfaitement les genres entre joaillerie et art contemporain.
Tout simplement parce que le bijou contemporain, la joaillerie d’auteur et l’art contemporain poursuivent le même but : exprimer un point de vue singulier sur des sujets à la fois universels et en phase avec les préoccupations de leur époque.
Je travaille par exemple depuis plusieurs années sur un projet d’exposition pluridisciplinaire qui devrait voir le jour à l’automne 2020 et pour lequel je créé non seulement un corpus de bijoux pièces uniques sur le thème du Tarot mais aussi un nouveau tarot de Marseille en collaboration avec l’artiste-graveur Thomas Perino. Cette exposition sera aussi l’occasion d’inviter 21 artistes du bijou contemporain à livrer leur interprétation personnelle d’une lame du tarot. Chaque thématique nous permet d’inviter aussi bien des artistes du bijou contemporain que des artistes évoluant dans d’autres disciplines. A chaque fois, c’est un nouveau dialogue, de nouvelles rencontres. C’est passionnant et très enrichissant et cela ouvre des champs d’exploration infinis pour les artistes comme pour les collectionneurs.